Numéro Zéro #2

Text written by Yann RICORDEL, critic and art historian, february 2014.

Gueules cassées d’Aline Robin

Souvenez-vous de ces plans rapprochés, fixes, insupportablement longs sur ces gueules cassées dans Hôtel des Invalides (1951) de Georges Franju, de ces visages atrophiés de la première guerre mondiale, qui nous renvoient aux paysages exsangues, brûlés, bosselés de Verdun et du Chemin des Dames. Souvenez-vous encore de ces images d’archive de ces corps handicapés, mutilés, de ces victimes définitivement marquées, sur leurs corps et dans leurs esprits, par la campagne d’Abyssinie de Benito Mussolini, de Oh Uomo (2004) de Yervant Gianikian et Angela Ricci-Lucchi.

On ne peut dire si les Gueules cassées d’Aline Robin sont le fruit de son imagination ou s’ils sont la transcription de documents ou de leur souvenir, mais cela a peu d’importance. Ces gueules cassées se joignent à l’artiste pour témoigner, par le geste on ne peut plus direct du dessin, dont la force de choc est d’une nature autre que celle des ordures dont la publicité jumelle de la culture industrielle et bureaucratisée nous perfusent, de ce que l’histoire peut charrier de victimes innocentes de la quête vaine, mais tellement humaine, du pouvoir. Ces faces douloureuses, exhibées sans déshonneur sont simplement là, pour la plus grande honte de ceux qui par folie des grandeurs, par déraison hégémonique, ont fait couler Le sang des bêtes (Georges Franju, 1949, court-métrage filmé aux abattoirs de Paris).